Repères biographiques :
1)
JEAN RÉDOULÈS
Jean
Rédoulès : L'art pour terroir
Jean Rédoulès est un artiste rare. Il est de ces sages
qui mènent leur vie en dehors des circuits médiatiques et agités des capitales
et qui ont ainsi, de saison en saison, la liberté d'approfondir leur travail en
allant toujours plus loin dans leur recherche. Toujours plus près dans
l'approche d'un bonheur de création.
Cet homme du terroir, ce Quercynois de profonde souche,
a été médecin. Un excellent médecin toujours présent dans les mémoires alors
qu'il a dépassé les quatre-vingt-dix ans (il est né en 1921). Longtemps médecin
de campagne à Pélacoy, commune de Francoulès, dans les Causses du Lot, puis
médecin de ville à Cahors. Dans cette France des entrailles à la fois rustique
et cultivée, riche de traditions et secrète dans son expression.
Autant dire que de l'humanité ( et de la réflexion sur
l'humain ) Jean Rédoulès connait tous les détours. C'est ce chemin patient et
cette expérience dense qui ont nourri son art. Il a été aussi à bonne école:
son aîné, son ami de territoire, son frère de pinceaux, de crayons, de couleurs
et de formes, était lui-même un des plus grands artistes français
contemporains, Roger Bissière. Voisins des mêmes terres arides, ils se voyaient
souvent et se plaisaient, dans l'atelier de La Boissièrette, près de Cazals
dans le Lot, à se poser mutuellement les questions que les artistes se
posent sur leur métier depuis que l'homme a eu l'éclair, l'envie, l'idée, comme
à deux pas de là, dans la grotte de Pech-Merle, à Cabrerets, de fixer pour
l'éternité – ici sur une paroi rupestre - leur paysage mental. Puis d'autres
après eux…
À cette passion, Jean Rédoulès, à Cahors, à
Saint-Michel-de-Cours, s'est exercé sous de multiples formes. Et chaque
fois, sur le papier, sur la toile, dans des sculptures, des constructions… il a
tenté de donner à son imagination la traduction exacte. Ces œuvres sont
montrées, ici ou là, à quelque trop peu fréquentes occasions. En 1978, il
participe à l’exposition "Nationale 20"en pleine nature près de
Cahors (avec Jean Clareboud, Louttre.B,
Bernard Pagès, André Nouyrit, Jean-Pierre Pincemin, Claude Viallat...) Ainsi,
peut-on voir son travail dans les beaux murs cisterciens de l'Abbaye de
Beaulieu-en Rouergue, sauvée voilà des années par Pierre Brache et Geneviève
Bonnefoi : ses « portes » notamment, sombres, rurales,
mystérieuses, ouvrant sur l'inconnu. Au Musée Henri Martin de Cahors, régi avec
intelligence par Laurent Guillaut, Jean Rédoulès déploie, en 2001, toute sa
panoplie dans une belle rétrospective intitulée « Chemins de terre ».
Il y a là de beaux pastels à l'huile inspirés par les incitations
sous-jacentes de l'actualité et de la rumeur du monde; des
« Incisions », pratiquées à l'Opinel n° 8, sur des
feuilles de Canson blanches, colères puissantes et retenues, traces de moments,
graphies intimes, jeux de lumières ( blanc sur blanc ) ; et une
cinquantaine de statuettes de buis travaillé au couteau, au burin, au ciseau à
bois, figurant de petits personnages, lutins, trolls… Dans la
salle du Temple, à Caussade, plus tard, un choix restreint de ses œuvres
rappelle sympathiquement leur diversité et leur complémentarité.
Jean Rédoulès est présent, en 2007, dans le circuit
« Chemin des Arts » avec
neuf autres artistes vivant dans le Lot: Christiane Le Guen, Alain
Prillard, Christian Destieu, Pierre Prévost, Pierre-Jérôme Atger, Dominique
Garnal, Georges Guiard, Michel Dupuy, Philippe Quirin. Présent aussi au
château de La Roussille, à Pradines, où Marie-Pierre et René Bonnave, ont
invité en juin 2009, Jean Rédoulès ( Sculptures en Hommage à Morandi ),
Jaco ( Jérôme Bosch, l'Afrique, la musique ), Rosi Larapidie ( peintures autour
du cirque, des oliviers ) ainsi qu' Alain Turpault ( photos sur le Mali
). Etc. etc.
Il participe aussi à l'exposition organisée par
Commune-Art à la mairie de Francoulès du 23 octobre au 12 novembre –
conjointement avec des œuvres de Jean-Pierre Rodrigo. En 2013, du 1er
février au 29 mars il est l’invité au Kremlin-Bicêtre, du centre culturel André
Malraux où est déployée une belle rétrospective de ses trouvailles inventives.
On y lit la vivacité jamais en défaut de cet
« honnête homme », policé, cultivé, attentif, qui a fait de la
médecine sa philosophie et de l'Art son domaine d'évasion et d'accomplissement.
J. B.
« Des
œuvres qui me ressemblent » par Jean
Rédoulès
« Il y a toujours une certaine impudeur à se mettre à
nu, surtout quand on se dirige vers le terme de sa vie. Mais je ne peux
m’empêcher de fabriquer des oeuvres qui me ressemblent.
Il y a là des
paysages plus ou moins allusifs en rapport avec le pays où je suis
né et où j’ai vécu, pays aride et rocailleux. Il y a une série sur
le désert. Le désert, pays riche d’esprit, lieu des poètes, des mystiques et
des conteurs. Il y a une série sur l’écriture. J’ai incisé le papier et obtenu
un graphisme cunéiforme. J’y ajouterai des papiers déchirés et recomposés. Tout
cela a pour moi le mérite de la sincérité et de la spontanéité. Regardez-vous
dans ce travail et peut-être arriverez-vous à y trouver une satisfaction et un
apaisement. »
Rédoulès
primitif
Dans
l’évolution récente du primitivisme en France depuis les années 1970, les artistes
du Quercy occupent une place singulière dont la pertinence, aujourd’hui que les
biotechnologies tendent à modifier les fondamentaux du vivant, prend de plus en
plus valeur d’évidence. Jean Rédoulès est particulièrement représentatif de la
disposition perceptive de ces créateurs pour lesquels la nature est un référent
et un partenaire immédiats, à la proximité diversement incitative. Sa formation
au contact de Roger Bissière et sous l’influence du surréalisme lui a procuré
la plus grande aptitude à engager l’expressionnisme primitif dans les voies
d’une représentation touchant aux manifestations symboliques de l’activité
humaine. Constructions, écritures, personnages-branches, peintures de paysages
noires sont les axes principaux d’une esthétique épurée et secrète dont
l’hétérogénéité étend l’exploration des potentialités de la main à l’analyse
anthropologique du « faire trace ». Rédoulès se rapproche ainsi des
convictions vitalistes de l’arte povera tout en présentant une pluralité expressive
répartie au rythme de l’investigation productive du sujet. S’ensuit une
invitation à l’hétérogénèse (la singularisation des pratiques subjectives),
dont une socialité réconciliée avec la pensée sauvage pourra désormais
s’inspirer, ainsi suggérée à chacun comme moyen d’intensification possible de
ses émotions, tant représentative de la prodigalité naturelle que directement
émergée du sensible.
Luc
Rigal
2)
ANDRE NOUYRIT
Sa stratégie a toujours été celle de la discrétion. Il
n'y a pas gagné en surface de notoriété, dans un milieu de l'art où la
communication, l'apparence et le faire-savoir sont devenus des composantes
majeures. Il y a en revanche beaucoup acquis en profondeur et en épaisseur. Ce
qui est tout de même plus important. Il se considère comme un artiste très
marginal, c'est à dire non inscrit au répertoire convenu des écoles et des
groupes, mais fondamentalement engagé dans la quête de l'identité de notre
époque dont il se veut, à plein, partie prenante. Percutante, originale,
chargée de sens, son oeuvre, en pleine maturité, est manifestement importante.
André Nouyrit est né à Cahors à la fin de l'année 1940 dans une famille très
enracinée dans le terroir quercynois et très avertie des choses de la culture
et de l'art. Quand, bac en poche, il « monte faire les Beaux-Arts »,
à Paris , en 1958, il s'inscrit, ce qui est déjà un signe de densité
personnelle, à l'atelier d'art sacré d'Edmée Larnaudie. Les années soixante et
soixante-dix sont pour lui celles de l'apprentissage. A Paris d'abord, puis
pour quelques mois, dans l'arrière-pays niçois, à proximité de l'atelier de son
ancien condisciple et ami du lycée de Cahors, Bernard Pagès, un grand artiste
novateur aujourd'hui reconnu et confirmé, puis à Barcelone, où il demeurera une
année. En 1972, il se fixe à nouveau dans le Lot. A Savanac d'abord, dans la
vallée chaleureuse et facile, riche et sereine, puis, en 1976, à Aujols, sur le
Causse, rude et rugueux, intense et habité. De son travail de cette période, il
ne reste, hélas, plus rien. L' incendie de son atelier détruit
irrémédiablement, en 1977, toutes les oeuvres qu'il avait créées jusque-là et
notamment celles qu'il avait pu exposer, en 1963, à Paris, à la galerie des Beaux-Arts
et, en 1967, à l'Atelier d'Alésia.
Mettant à profit cette catastrophe, André Nouyrit en
fait l'occasion d'une refondation. Dans la solitude de la grange en pierres
sèches ou sous l'auvent de tuiles romaines qui sont les espaces rustiques où il
organise sa création, face à face avec la nature sauvage, lieu suprême de
réflexion, en une confrontation têtue avec les éléments, il va définir sa
propre route. Celle d'un pèlerin de l'inconnu, d'un sourcier à la recherche du
fleuve souterrain de nos secrets. 1978 lui offre la possibilité de mettre en
scène sa nouvelle production dans le cadre extérieur de l' exposition mémorable
"Nationale 20", où figurent à ses côtés Pincemin, Viallat, Pagès, Rédoulès,
Louttre B., Clareboudt... Et à Nice lors de la 5ème biennale de la
jeune peinture méditerranéenne. Dès lors sa machine personnelle à engendrer des
formes et à exciter des couleurs va prendre un rythme soutenu mais sage et
réfléchi. André Nouyrit n'est pas du genre à surproduire. S'il prend beaucoup
de notes, et à longueur de journées, sur des papiers, des cahiers saturés de
dessins et de mots, ses toiles et ses sculptures ne sortent qu'en petit nombre
chaque année de chez lui. "Il me faut énormément travailler pour dire quelque
chose. Je ne veux pas, je ne peux pas tomber dans le panneau de la facilité. Il
faut que je lutte contre moi même, que je me batte contre ma sculpture, que je
me batte contre mon tableau. Si je suis spontané dans mon désir, je ne le suis
pas dans ma création. Je ne suis pas un gestuel" dit il. "Ostinato
rigore", comme Léonard de Vinci, André Nouyrit pourrait faire sienne cette
maxime. La rigueur dans l'attention qu'il porte à la nature, aux éléments qui
l'entourent, à la vie, expliquent la tenue et la tension de ses productions.
Son clavier, son matériau d'intervention, ses outils, la proximité les lui
fournissent. Les champs, les tertres, les forêts, les oiseaux lui offrent leurs
joyaux. Il les choisit, leur insuffle de l'âme. Les richesses de son laboratoire
tiennent en quelques mots que pouvaient utiliser aux tréfonds de notre histoire
de l'humanité les artistes magiciens de cavernes comme celle, si proche, de
Pech Merle, ou qu'utilisent aux antipodes de notre géographie régionale, les
chamans et les sorciers d'Afrique, d'Amérique ou d'Océanie.
C'est la
terre et la force tellurique qu'elle recèle, la
pierre chargée d'énergie et de mémoire,
le bois, chêne, érable, ormeau... qui a puisé sa
constitution dans le sol, l'herbe, qui vit, se dessèche et
s'effrite en mourant, l'os, qui a été la charpente de l'être vivant, la plume,
qui fut sa parure et l'instrument de son envol. Il y a aussi la toile, brute ou
cou- sue, rapiécée, personnalisée, drap, nappe, vêtement... il y a enfin les
pigments qui sont la folie, le génie de l'artiste et sa liberté totale et
souveraine d'expression. Il en fait vibrer toutes les richesses en recherchant
le beau. C'est à dire le vrai. Entre l'artiste et son oeuvre, "une sacrée
maîtresse qui te fait enrager chaque matin", s'engage une empoignade
sévère et sensuelle. A mi-chemin de la parade des lutteurs et de la parade
amoureuse des fauves.
André Nouyrit jouit de maîtriser les éléments,
d'imprimer son tempo aux ordon- nancements des pièces, d'inventer la forme de
ces "présences" qu'on a baptisées "totems", de tisser des
bandes de papier portant sa griffe, de taillader la toile pour la pénétrer avec
des bâtonnets et surtout de l'illuminer d'un chatoiement de couleurs. André
Nouyrit se sert de la couleur comme d'un révélateur. D'un projecteur de sens.
De la couleur? Non, des couleurs. De ses couleurs qui se heurtent,
s'affrontent, s'émeuvent l'une l'autre, appliquées aux matériaux, aux supports
qu'elles exaltent. De la période des "présences", ces sculptures de
bois qui lui sont alors nécessaires pour combler un vide et pour pallier,
"dans le désert", la solitude, jusqu'à celle des toiles de ces
dernières années, une vraie cohérence se trame. Elle est dans son regard sur ce
qui l'entoure. Et surtout dans sa réaction. Ici, face au vide, la résistance
qu'il lui oppose. Là, à travers le cadre d'une fenêtre symbolisée, la question
posée du sens à laquelle il répond par le dialogue conflictuel entre une
peinture raffinée et des inclusions agressives. Les perspicaces ont déjà très
bien perçu l'intérêt, la qualité et la puissance du travail d'André Nouyrit.
Depuis 1978, ils ont pu voir ses oeuvres présentées à l'occasion d'une trentaine
d'expositions "de groupe", de Paris à Francfort, de Toulouse à
Stockholm, de Deauville à Trèves, de Belgrade à Montauban, Souillac, Belgrade,
Pau, Beaulieu... et montrées lors d'une vingtaine d'expositions personnelles à
Paris, Toulouse, Rouen, Saint-Cirq Lapopie. De nombreux collectionneurs et
institutions ont déjà saisi l'opportunité d'enrichir leur jardin secret de ses
propositions puissantes et d'enrichir à leur fréquentation leur sensibilité au
monde .
J. B. (1997)
3)
ALAIN-JACQUES
LÉVRIER-MUSSAT
Alain-Jacques
Lévrier-Mussat est né à Grenoble en 1971. Entre école des Beaux-arts et Sciences
politiques, ce passionné a commencé par travailler durant plusieurs années au
Musée d’art contemporain de Lyon ainsi qu’au musée d’art moderne de
Saint-Etienne. Installé aujourd’hui dans le département des Hautes-Pyrénées, il
se consacre entièrement à son travail de plasticien dont le fondement
artistique repose sur la révélation à la fois sémantique et esthétique des
propriétés d’un pigment bleu.
Les «compositions » qui découlent de
cette démarche très exclusive s’appuient systématiquement sur des variations de textes et sur une
dissection du livre considéré comme objet. Ce qui pourrait se traduire comme
l’invention d’une improbable équation. Un bleu et un seul d’une part, les
livres comme autant d’inconnues de progression de l’autre.
Si le
bleu peut être considéré comme un terrain de recherche et d’expériences, les
ouvrages constituent les moyens concrets d’approfondissement du
« sujet ».
L’œuvre,
oscillant entre opacité et transparence de la matière, surface et profondeur de
la pensée, apparait comme l’échafaudage intime d’une mesure de soi. Dans cette
confrontation étroite, il est d’abord question de temps et de mémoire.
En
admirateur discret du monde souterrain de la philosophie et de l’histoire de
l’art, l’artiste échafaude sans concession et patiemment son schéma… Les
références du processus sont répertoriées dans un manuscrit dont l’artiste
publie les strophes à l’occasion de chacune de ses expositions. (Disponible par
mail sur simple demande : ajlm.cl@free.fr)
Alain-Jacques
Lévrier-Mussat expose régulièrement depuis 1999 essentiellement en France, dans
différentes galeries, centres d’art et autres lieux soutenant des démarches
singulières.
A Paris,
il participe chaque année à l’actualité du salon historique des Réalités
Nouvelles dont l’objectif est de recenser les multiples tendances
contemporaines de l’abstraction.
« La
lumière d’un bleu » par Alain-Jacques Lévrier-Mussat
« Sans le vertige de la lumière d’un bleu, je ne
serais probablement pas devenu peintre. Je me suis noyé dans cette vision pour inscrire
une mémoire sur le fond de mon œil. Sans les livres, je n’aurais pas supporté cet enfermement. Ils
sont le fil conducteur de mon écriture et le toit de ma peinture ».
Décembre
2011
Bibliographie :